Dans plusieurs pays de l’Afrique du Nord et au sein même de la diaspora, donner un prénom amazigh à son enfant relève encore du parcours du combattant.
Entre blocages administratifs, pressions religieuses et ignorance consulaire, le droit à la mémoire reste fragile.
Le prénom : premier acte de liberté
Nommer un enfant, c’est lui donner une identité, une filiation, une mémoire.
Mais pour de nombreux Amazighs, cet acte intime se heurte à des obstacles institutionnels : refus d’état civil, remarques humiliantes, voire injonctions à “choisir un prénom musulman”.
Ces pratiques constituent une atteinte directe à la liberté de conscience et à la diversité culturelle.
Les blocages persistants dans les pays d’origine
- En Algérie, malgré la reconnaissance officielle de tamazight, des officiers d’état civil continuent de rejeter des prénoms comme Tiziri, Massinissa, Dihya, Tilelli, prétextant qu’ils ne figurent pas sur des “listes validées”.
- Au Maroc, la situation s’est améliorée depuis 2010, mais les blocages persistent dans les zones rurales : certains prénoms amazighs sont toujours jugés “non conformes à la culture arabo-islamique”.
- En Tunisie, le code de l’état civil reste ambigu : les prénoms amazighs ne sont pas interdits, mais souvent refusés de facto sous prétexte qu’ils ne figurent pas dans les registres arabes ou français.
Ces pratiques administratives violent directement l’article 30 de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui protège le droit à la langue et à la culture d’origine.
En diaspora : les consulats, un relais de l’effacement
Dans de nombreux pays d’accueil (France, Canada, Belgique), les consulats algériens et marocains refusent d’enregistrer les prénoms amazighs sur les registres consulaires.
Certains parents se voient répondre :
« Ce prénom n’existe pas dans notre registre national. Choisissez un prénom musulman. »
Ce zèle administratif, hérité des politiques d’arabisation, entretient l’humiliation symbolique d’une diaspora pourtant pacifique et instruite.
Beaucoup d’enfants grandissent ainsi avec deux identités contradictoires : un prénom amazigh à l’école française, et un prénom arabisé sur le passeport algérien.
Le rôle problématique de certains imams
Dans certaines communautés, des imams ou responsables religieux dissuadent encore les familles de choisir des prénoms amazighs, au motif qu’ils seraient “païens” ou “non islamiques”.
Cette culpabilisation spirituelle a un effet puissant : elle fait honte à la langue des ancêtres.
Pourtant, rien dans le Coran n’interdit d’utiliser des prénoms culturels — seuls l’intention et le respect du sens comptent.
L’islam amazigh historique (celui de Massinissa, Dihya, Ibn Toumert, et des marabouts du Mzab) a toujours coexisté avec les noms berbères.
Le droit universel à nommer selon sa culture
Le droit de donner un prénom amazigh s’inscrit dans les textes internationaux :
- Article 7 de la Convention des droits de l’enfant (ONU, 1989) : “L’enfant a le droit à un nom dès la naissance.”
- Article 30 : “L’enfant appartenant à une minorité a le droit de jouir de sa propre culture, de professer et pratiquer sa propre religion, et d’utiliser sa propre langue.”
- Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2007) : “Les peuples autochtones ont le droit de désigner leurs enfants selon leurs traditions.”
Ces principes doivent s’appliquer aux Amazighs, peuple autochtone d’Afrique du Nord, où qu’ils vivent.
Nommer, c’est résister
Donner un prénom amazigh, c’est un acte de continuité et de résistance pacifique.
C’est refuser l’effacement linguistique imposé depuis des siècles.
C’est affirmer que la mémoire d’un peuple ne passe pas par des slogans, mais par la parole transmise dans la bouche des enfants.
Le prénom amazigh est un chant discret de liberté.
Il ne blesse personne — il rappelle simplement que nous existons.
L’avenir du monde amazigh dépendra moins de la politique que de ce geste simple :
nommer nos enfants dans notre langue.
Car un prénom amazigh n’est pas une provocation : c’est une promesse.
Celle de rester debout, avec dignité, dans la lumière de nos mots.
En Europe, le renoncement occidental ouvre la voie aux extrémismes
La question du prénom n’est pas qu’une affaire d’état civil : c’est une question de reconnaissance culturelle.
Or, en Europe, la société majoritaire a peu à peu abandonné la défense de ses propres patrimoines symboliques — qu’ils soient celtes, occitans, basques, bretons.
Dans plusieurs pays, des agents de mairie ou de justice refusent encore les prénoms jugés “non français” ou “étrangers”, au nom d’une identité nationale figée.
Pendant ce temps, les réseaux islamistes et arabisants, eux, encouragent activement leurs communautés à nourrir l’arabisation des noms et des imaginaires, sous couvert de religion.
Cette double abdication — celle des États européens, qui n’assument plus la pluralité de leurs territoires, et celle des administrations nord-africaines, qui censurent la diversité — a laissé la voie libre à un monopole symbolique de l’islam politique sur la question du prénom.
Donner un prénom amazigh, breton ou catalan ne menace aucune république :
c’est simplement affirmer une identité enracinée mais ouverte, un lien entre la terre, la langue et la liberté.
Tant que l’Europe continuera à confondre laïcité avec indifférence culturelle, elle laissera s’installer un déséquilibre :
les voix qui imposent leurs codes au nom du religieux auront toujours plus d’espace que celles qui veulent simplement exister dans leur langue.
Nommer un enfant Tiziri, Awen, Mael ou Miren, c’est un même geste : celui de refuser l’uniformisation des âmes.
